Estampes érotiques

L’expression des désirs et des sentiments les plus profonds accompagnent immanquablement la naissance de la littérature. Des motifs médiévaux de l’amour courtois aux transgressions morales des paroles libertines, l’homme sait éperdument que ses figurations des émois sexuels le mèneraient à la « damnation de la chair » récusée par Charles Baudelaire (1821 – 1867).

Dans son sens le plus commun, l’estampe érotique désigne les gravures européennes produites du XVIIIème siècle à nos jours. Quels sont les motifs et codes de l’estampe érotique de son âge d’or à notre époque ?

[CURIOSA]. Collection de lithographies libres coloriées [vers 1840-1850].

Recueil de 13 rares lithographies érotiques en brillant coloris de l'époque. Elles pourraient être l'œuvre de Devéria.

Ces estampes ont été coupées au ras de la marge, sauf dans le bas, où l'on a conservé la légende : Baiser d'amour, Après la sieste, Mon seul bonheur, Vue pittoresque, Le modèle en chaleur, La brûlante ouverture, La toilette interrompue, C'est moi qui suis l'homme, Le Délire, Je veux ton coquillage, Jouissances, La Permission de 10 heures : Le Retour et Une halte dans les bléds.

L’âge d’or de l’estampe érotique au XVIIIème siècle : des poésies grivoises d’antan aux fastes du libertinage

La littérature érotique tire ses origines dans les mots des auteurs grecs et latins de l’Antiquité (exemplaire du Satyricon de Pétrone vendu aux enchères le 25 février 2013 pour 2040€). La tradition médiévale du roman courtois narre les délicates aventures initiatiques de valeureux héros en quête du cœur de leur bien-aimée en attente d’exploits inégalés. Rares sont les symboles érotiques dans ce genre. Ici, toutes les tentations de l’âme ne sont que suggérer au grès des aventures et des périples du chevalier.

La poésie grivoise, dès la fin du Moyen Âge, libère plus que jamais une parole sulfureuse et tintée de défie aux autorités religieuses. Les mots de François Villon (1431 – ca. 1463) répand un verbe libéré et imagé. Le XVIème siècle n’est pas en reste si bien que les prophètes de la Pléiade littéraire s’initient à la « poésie légère ». Les sujets sont variés et les scènes toujours plus osées : couples adultérins rencontrent des moines outrageux dans des tableaux suggestifs. François Rabelais (ca. 1483 – 1553), Louise Labé (1524 – 1566) comme Pierre de Ronsard (1524 – 1585) rendent compte d’une pensée libérée dans les cercles littéraires et intellectuels d’alors (exemplaire des Amours de Pierre de Ronsard vendu le 16 mars 2007 par Alde pour 60€).

Le développement et le perfectionnement du procédé de l’eau-forte dans les écoles de gravure européennes du XVIIIème siècle réveille un goût pour le plaisir figuré des voluptés charnelles. Le retentissement du libertinage dans les sociétés savantes du moment concrétise l’évolution du rôle de l’image dans la littérature érotique. D’esprit libre et brocardé pour sa dépravation morale et sexuelle, le libertin se nourrit des écrits de Pierre Choderlos de Laclos (1741 – 1803) (exemplaire des Liaisons dangereuses illustrées par Sylvain Sage vendu par la maison Alde le 3 juin 2008 pour de 17.400 €), de Crébillon fils (1707 – 1777) mais surtout du marquis de Sade (1740 – 1814), auteur de Justine (exemplaire de l’édition originale vendu par la maison Alde pour 60.000€ le 8 juin 2009) dont Napoléon Bonaparte (1769 – 1821) dit qu’il est : « Le livre le plus abominable qu’ait enfanté l’imagination la plus dépravée ».

La voix des libertins est, au XVIIIème siècle, celle d’une jeunesse en rébellion avec les codes de la pudeur. En dénonçant les travers de l’Eglise (les fausses promesses de chasteté du clergé romain) et les dérives malheureuses d’une génération aristocratique engoncée dans des valeurs morales stériles, les libertins se font les seuls maîtres de leur libre arbitre.

Marquis de SADE. Justine, ou les Malheurs de la vertu.

En Hollande, chez les libraires associés [Paris, Jacques Girouard], 1791.

Édition originale, de toute rareté, du premier ouvrage publié par le marquis de Sade.
Dédiée à la bonne amie de l'auteur, Marie-Constance Quesnet, l'édition est ornée d'un beau frontispice néoclassique dessiné par Philippe Chéry et gravé en taille-douce par Carrée, allégorie de la Vertu malmenée par la Luxure et l'Irréligion.
Œuvre emblématique du marquis de Sade, Justine l'a accompagné tout au long de sa vie. C'est la deuxième version, largement remaniée et amplifiée aux dimensions d'un roman, du conte des Infortunes de la vertu, composé à la Bastille en 1787 et demeuré à l'état de manuscrit. L'histoire de Justine sera encore réécrite par l'auteur, et augmentée de celle de sa sœur Juliette, pour former les dix volumes publiés en 1797 sous le titre : La Nouvelle Justine.

Une critique parue dans les Petites-Affiches, en 1792, résume l'opinion de l'époque sur ce sombre chef-d'œuvre : « Tout ce qui est possible à l’imagination la plus déréglée d’inventer d’indécent, de sophistique, de dégoûtant même, se trouve amoncelé dans ce roman bizarre, dont le titre pourrait intéresser et tromper les âmes sensibles et honnêtes. [… ] Vous, hommes mûrs, que l’expérience et le calme de toutes les passions ont mis au-dessus de tout danger, lisez-le pour voir jusqu’où peut aller le délire de l’imagination humaine ; mais soudain après, jetez-le au feu : c’est un conseil que vous vous donnerez à vous-même si vous avez la force de le lire entièrement ».
Alors que la Révolution avait supprimé la censure le 13 janvier 1791, Justine parut si choquant qu'elle fut aussitôt réinstaurée et l'ouvrage cloué au pilori.
Bel exemplaire, grand de marges (195 x 120 mm), bien frais et remarquablement conservé, habilement placé dans une jolie reliure en maroquin du temps pour un amateur du XXe siècle qui a voulu réaliser un exemplaire parfait. On chercherait en vain un exemplaire de ce livre aussi rare que scabreux relié à l'époque de sa parution en plein maroquin orné.

Estimé 12 000 euros, l'ouvrage a déchaîné les passions et s'est vendu aux enchères pour 32 940 euros en 2014

Avenir du curiosa en France aux XIXème et XXème siècles

: de la nostalgie des Lumières à l’expression nouvelle de la luxure

Avec la mécanisation de l’imprimerie dans la première moitié du XIXème siècle, les coûts des livres et des estampes chutent drastiquement. Là, contrairement aux estampes de l’Ancien régime, les gravures industrielles deviennent davantage accessibles aux classes populaires.

L’« image indiscrète » connait une popularité accrue en raison de la prolifération des estampes érotiques colportées clandestinement ou produites au compte d’éditeurs indépendants. Le succès est d’autant plus grand que les institutions morales et religieuses renforcent leur étreinte et leur censure invétérée à l’encontre des gravures obscènes.

La gravure érotique devient peu un produit de luxe nostalgique des années galantes du XVIIIème siècle. La popularisation des éditions sur grand papier et des impressions d’œuvres de grands illustrateurs attisent le goût de collectionneurs chevronnés de ce temps (exemplaire des Pucelages conquis, ou scènes libres de ce qui se passait dans les couvents d’Italie au moment de leur suppression, en 1808 vendu par la maison Alde le 16 mars 2022 pour 1.875€).

La seconde moitié du XIXème siècle voit toute une portée de poètes et de romanciers s’essayant au style licencieux de la littérature érotique. Des figures comme Gustave Flaubert (1821 - 1880), Guy de Maupassant (1850 - 1893) mais encore Emile Zola (1840 - 1902) voient dans le mouvement réaliste une opportunité inespérée de proférer les expressions humaines les plus enfouies et impudiques. Le cycle des poètes maudits, au crépuscule du XIXème siècle, réinvente le langage des voluptés aussi bien féminines que masculines. Entre expériences heureuses et désillusions sincères, Arthur Rimbaud (1854 - 1891) et Paul Verlaine (1844 - 1896) décryptent l’argot secret du corps et des plaisirs dans leurs vers (exemplaire des Œuvres libres de Paul Verlaine vendu par Alde pour 336€ le 16 mars 2007).

L’estampe érotique relève, au XXème siècle, davantage de la curiosité littéraire et de l’amusement d’illustrateur que d’un genre littéraire répandu. En effet, la faiblesse des tirages d’éditions licencieuses destine toujours plus à un cénacle d’amateurs aguerris qu’au grand public (lot de quatre curiosa du XXème siècle vendu le 9 juillet 2021 par Alde pour 188€).

François-Félix NOGARET

L'Arétin françois, par un membre de l'Académie des dames. – Les Épices de Vénus, ou Pièces diverses du même académicien. Londres [Reims ou Paris], s.n. [Cazin], 1787.

Édition originale.
Elle est ornée de dix-huit figures érotiques hors texte gravées par François-Rolland Elluin d'après Antoine Borel, non signées, tirées sur vergé fort.
La seconde partie de l'édition, intitulée Les Épices de Vénus, renferme de plus une figure hors texte pour le Dialogue du con et du vit.
Bel exemplaire, d'une grande rareté en maroquin de l'époque.

Vendu aux enchères 4 750 € par ALDE

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